Ursula Schulz-Dornburg photographe des périphéries
Photographie des rémanences
Ursula Schulz-Dornburg (née en 1938 à Berlin, Allemagne) est une photographe allemande qui se situe entre le documentaire, la Photographie Objective allemande et le minimalisme américain.
Paysage et vestiges
Le travail d’Ursula Schulz-Dornburg se singularise par des sortes de carnets de voyages photographiques dédiés presque essentiellement au paysage, plus spécifiquement à l’architecture dans le paysage.
Erevan – Yeghvard, 1997 © Ursula Schulz-Dornburg.
Un des traits dominants de son travail est le vide qui habite ses clichés. La majorité de ses photographies sont exemptes de présence humaine ou alors, lorsque quelques « personnages » sont à l’image, ils paraissent isolés, perdus, déplacés et en attente.
Ce qui intéresse avant tout Ursula Schulz-Dornburg ce sont les vestiges, en particulier les ruines. Elle a entrepris une multitude de voyages dans des zones que l’activité humaine a abandonnées, où il ne demeure que des bâtiments ou habitats détériorés, abîmés par le temps. Pour ainsi dire désaffectés de leurs fonctions, de tout usage.
L’horizon et les lointains
Une autre caractéristique marquante des images de la photographe allemande réside dans la ligne d’horizon. Il semblerait que ce soit là que se porte avant tout le regard d’Ursula Schulz-Dornburg. Celle-ci éloigne et découpe le plan de l’image. Dans ses cadrages la photographe plasticienne pose en premier plan des ruines, parfois des humains et repousse la profondeur de la composition vers un infini qui pourrait être celui de l’oubli, de la mémoire effacée. Nombre de ses clichés rappellent les premiers films d’un de ses compatriotes, d’une génération postérieure, Wim Wenders, qui notamment dans « Au fil du temps » plante une action isolée sur des horizons qui se dérobent ou filent sans laisser de trace sinon leurs propres écoulements. Les horizons sont ici des lointains qui creusent le cadre et paraissent des apertures mémorielles où le paysage encore faiblement marqué par son histoire se déverse pour disparaître définitivement. Les quelques humains qui sont présents ne sont déjà plus que des survivances.
© Ursula Schulz-Dornburg.
Frontalité et transitions
Les lignes d’horizon, qui sont comme des fuyantes dans le travail d’Ursula Schulz-Dornburg, sont néanmoins contrariées par la frontalité du cadre photographique. La photographe, sur ce point, s’inscrit dans le travail engagé au début du 20° siècle par Bernd et Hilla Becher, ainsi que ses disciples tels que Thomas Ruff, Thomas Struth, Thomas Demand, ou Andreas Gursky, parmi bien d’autres. Elle reprend effectivement la dimension documentaire des Becher, qui précisément, avaient entrepris d’archiver le patrimoine de l’ère industrielle pour le sauver de l’oubli. Il est évident qu’Ursula Schulz-Dornburg veut en quelque sorte retenir ce qui reste d’une histoire négligée.
Elle semble néanmoins plus préoccupée du caractère existentiel de ce qu’elle observe que de sa préservation mémorielle. Elle témoigne d’un « être là » en déshérence plus qu’elle archive. La frontalité prétendument objective des Becher n’est pratiquée chez la photographe qu’à des fins formelles. Il s’agit d’accentuer le vide entre l’horizon qui débonde vers l’absence et les premiers plans à la présence faible. Quant à la filiation d’Ursula Schulz-Dornburg avec les disciples des Becher, elle paraît assez extérieure et de toute façon postérieure.
© Ursula Schulz-Dornburg.
En effet, il n’y a pas chez elle de dimension ironique héritée du Pop Art ou de critique du médium photographique en tant que tel. La photographe fait encore confiance à la dimension de témoignage du médium, d’autant plus qu’elle n’informe pas mais tente de révéler. La frontalité des images d’Ursula Schulz-Dornburg sert avant tout à mettre en évidence les orées et frontières en transition.
Auteur : Thierry Grizard