Todd Hido, une photographie atmosphérique
Todd Hido et l’entre-deux
La photographie est depuis ses origines aux prises avec une dualité intrinsèque entre l’objectivité supposée et le parti pris subjectif. Le travail de Todd Hido, (né en 1968, à Kent, Ohio), se situe au sein de cet entre-deux, entre une approche documentaire et une « esthétique » de l’atmosphère et de l’étrangeté du quotidien. Le parcours du photographe américain est une forme de narration par suspension et suggestion.

La photographie est certes une reproduction mécanique du visible, mais l’œil qui cadre et décide du bref instant de la prise de vue est foncièrement subjectif et fragmentaire. Dès lors le partage entre la fonction documentaire et l’intersubjectivité — le moment empathique — voire l’imaginaire a pesé sur toute l’évolution de la photographie. La démarcation originelle sépare donc les pictorialistes de Marey ou Muybridge ; l’école de la Nouvelle Objectivité de Albert Renger-Patzsch des surréalistes, etc.
Todd Hido oscille entre ces deux pôles, il pratique des prises de vues, (au Pentax 6 x 7), sans mise en scène — sinon le cadrage —ni retouches lourdes à la Gursky. Il part donc d’une base documentaire, notamment sur le suburbain, mais avec le projet délibéré de trouver un contexte propice à suggérer une humeur, une atmosphère, souvent très cinématographique, susceptible d’amener une narration de « l’avant », sur ce qui a précédé ce moment d’étrangeté et qui permettrait d’en saisir précisément le mystère. Tout le travail de Todd Hido relève du « ça me fait penser à ça ! »

Déambulation et cinématographie
Les images très composées de Todd Hido, évoquent des scènes de film, il revendique d’ailleurs les influences de David Lynch, Hitchcock mais surtout de Charles Laughton avec « The Night Of The Hunter » ; par ailleurs, ses clichés semblent formellement se rapprocher de la « Staged Photography ». Pourtant le photographe américain travail à l’instinct, sans idée préconçue. Il déambule en voiture dans les banlieues américaines, aux périphéries, là où l’habitat est quelconque, sans ostentation sociale. Cette partie du corpus est aussi à considérer dans la perspective de l’héritage de Lewis Baltz, Ed Ruscha, William Egglestone, et Robert Franck. Influences que le photographe assume sans difficulté.

Todd Hido accomplit la majorité de ses périples la nuit, ou à la tombée du jour, quand la lumière devient « cinématographique », soit en rappelant les codes des thrillers quand il s’agit de la lumière artificielle ; ou en utilisant la lumière du coucher de soleil si appréciée des cinéastes, qui allonge les ombres, les assombrit, tout en nimbant les contours d’irisations diverses. Or le propre de ces lumières nocturnes, urbaines ou crépusculaires est de dramatiser la « scène ». C’est la raison pour laquelle Todd Hido dit qu’il travaille comme un documentariste mais qu’il « rend », traite, ses images comme un artiste. C’est aussi pourquoi certaines de ses photographies présentent des similitudes avec le travail de Jeff Wall qui recompose entièrement le réel pour ensuite le photographier comme un documentariste. Todd Hido quant à lui procède comme un reporter du périurbain mais pour le théâtraliser.

Les poses longues nocturnes participent de cet effet d’artificialité, elles procurent au lieu une lumière de surcroît qui n’existe pas, elle transforme les fenêtres éclairées — toujours occultées par un rideau — en énergie que la demeure semble presque émettre, à l’instar d’une pulsation intime. Les fenêtres de Todd Hido ne sont pas de celles à travers lesquelles on épie les habitants, elles sont des adresses au « spectateur ». Il y a fréquemment dans les îlots d’intimité que capture l’artiste un aspect anthropomorphique.
Une autobiographie atmosphérique
Todd Hido est un enfant des banlieues typiquement américaines. Il a connu une adolescence relativement agitée, et ne cessait de déambuler en BMX, (dont il a été champion de l’état d’Ohio à plusieurs reprises). Il dit lui-même qu’il était un mauvais garçon, que le vélo sportif et la photographie l’ont sauvé d’une vie de délinquant. D’ailleurs en guise d’explication touchant ses images il n’hésite pas à livrer de longs récits détaillés sur son enfance ou sur les conditions et moments de prise de vue. C’est que pour Todd Hido les banlieues et paysages périurbains qu’il parcourt sont comme autant de remémorations, à tel point que dans une conférence donnée en 2013, il dévoile la carte d’un de ses lieux d’errance photographique qu’il considère comme la reproduction de ses itinérances de jeunesse. Il est, par conséquent, dans une intimité subjective profonde avec ces lieux considérés par beaucoup comme impersonnels, « sans âme ». La photographie fonctionne pour lui sur le registre de la résonance émotionnelle délibérée. Il crée des récits atmosphériques.

Paysages de pluie
Si le travail de Todd Hido est, à travers une pratique de reporter à l’affût d’un lieu évocateur, le fruit d’une rencontre hasardeuse, la facture n’est absolument pas celle du document ou du reportage, la manière est, tout au contraire, cinématographique bien qu’il n’utilise aucun artifice pour y parvenir. C’est un des tours de force du travail du photographe, les effets très élaborés sont directs, pas d’éclairage d’appoint, pas d’accessoires en général, aucun assistant, etc.
C’est encore plus frappant dans le cas des photographies de paysage. Concernant les clichés des périphéries, Todd Hido utilise un subterfuge technique d’une rusticité déconcertante, en effet dans ses trajets narratifs en voiture il capture des scènes de nature, plus ou moins altérées et toujours solitaires, à travers son pare-brise embué ou couvert de gouttes d’eau. Il en résulte des images depuis la cabine, délimitées par la carrosserie et effilochées ou floutées par la condensation. La métaphore est évidente, ces images de paysages sont des images « intérieures », des états de conscience.
Auteur : Thierry Grizard