Les Tanagras, sensualité et délicatesse helléniques
“Dans une culture comme celle de la Grèce archaïque, où chacun existe en fonction d’autrui…la vraie mort est l’oubli.” — Jean-Pierre Vernant, La Belle mort et le cadavre outragé.
Qu’est-ce qu’un Tanagra ?
Les figurines de Tanagra désignent des sculptures en terre cuite datant du IVe au IIIe siècle avant notre ère. Elles sont emblématiques de l’art hellénistique.
Ces figurines sont tout d’abord produites à Athènes vers la fin du IVe siècle avant notre ère. Assez rapidement elles seront exportées et imitées en Béotie, mais aussi dans d’autres grands centres de production notamment Alexandrie, Myrina et Chypre.
les Tanagras sont redécouvertes à la fin du XIXe siècle et connurent un immense succès auprès de la bourgeoisie qui pensait voir se dévoiler un pan plus intimiste, privé et presque érotique de la culture de l’antiquité grecque.
C’est à l’Exposition universelle de 1878, que les productions de Tanagra sont révélées au grand public.
Cet engouement à non seulement alimenté une considérable production de faux mais a aussi définitivement altéré les sites archéologiques qui ont été pillées rendant la lecture de ces figurines délicate d’autant plus qu’elle furent alors ravalées au rang de simples bibelots.
Fonctions des Tanagras
Découvertes principalement à Tanagra, en Béotie, ces œuvres sont réputées pour leur réalisme et leur élégance.
Le terme “Tanagra” provient d’ailleurs du nom de la ville de Tanagra en Béotie, où ces figurines ont été mises au jour. La ville était un centre de production majeur de ces statuettes en terre cuite, qui ont ensuite pris le nom de leur lieu d’origine.
Sites de fouilles importants:
Tanagra : Les fouilles à Tanagra ont révélé des centaines de figurines dans les nécropoles, confirmant leur usage funéraire et leur importance culturelle.
Myrina : En Asie Mineure, les fouilles ont mis au jour des figurines similaires, illustrant l’influence de Tanagra dans la région.
Alexandrie : En Égypte, les figurines de Tanagra ont été retrouvées dans des contextes funéraires, indiquant leur attrait universel.
Les figurines de Tanagra sont principalement des représentations de jeunes femmes, d’enfants, de jeunes mariées, de femmes enceintes et de domestiques. Elles mesurent généralement entre 10 et 30 centimètres de hauteur et sont fabriquées en terre cuite peinte. Les thèmes abordés reflètent la vie quotidienne, les rites de passage (puberté, mariage) et les rôles sociaux des femmes dans la société hellénistique.
Certaines de ces poteries représentaient également des acteurs du théâtre antique. L’affinité des Tanagras avec le culte de Dionysos — qui était intimement associé au théâtre — est caractéristique de ces figurines.
Les statuettes de jeunes femmes sont les plus courantes, souvent représentées dans des poses gracieuses et vêtues de chitons et d’himations, exprimant à la fois élégance et modestie.
Les enfants sont rarement représentés seuls; ils apparaissent le plus fréquemment avec des femmes, symbolisant la maternité et l’éducation. Il y a néanmoins quelques exceptions remarquables.
Les jeunes mariées et les vierges sont représentées dans des tenues nuptiales ou dans des poses indiquant la pureté et l’innocence, reflétant les idéaux sociaux et culturels de l’époque.
Les représentations de femmes enceintes et de domestiques sont plus rares mais témoignent de la diversité des rôles féminins. Elles illustrent les aspects moins visibles de la vie quotidienne, tout en affichant le statut social du dévot ou du défunt.
Outre leur rôle funéraire, certaines figurines de Tanagra avaient une fonction votive.
Ces figurines étaient déposées dans des sanctuaires ou des temples, symbolisant la piété et les espoirs des dévots.
Le fait qu’elles soient retrouvées en si grand nombre dans ces contextes suggère qu’elles servaient à établir un lien tangible entre les humains et les dieux, tout en assurant une protection divine.
Nombre de ces poteries représentent des femmes voilées, drapées pudiquement quoique de manière parfois suggestive, la tête couverte.
On prête à cette figuration une signification religieuse se rapportant aux cultes dionysiaques. Certaines postures suggèrent qu’il s’agit de ménades, les suivantes de Dionysos.
Les cultes du dieu de la vigne, de la fête et du vin, des masques et du théâtre, de la libération et de la démesure, sont voilés par le secret.
C’est un dieu à la marge ! Les Mystères dionysiaques avaient une fonction initiatique complexe.
C’est une des ambiguïtés des Tanagras.
Ils oscillent entre représentation de la vie domestique, la douceur de vivre, l’affichage de son rang social, de sa richesse et les lisières entre la vie normée de la cité et la folie orgiaque, les débordements des sens.
Quant aux femmes sagement assises ou immobiles, portant chiton et himation, elles sont la métaphore de la jeune fiancée destinée à être dévoilée par son époux.
Quelque fois elles font plus prosaïquement figure de « patriciennes » richement vêtues et pourvues d’un élégant éventail.
Cet aspect relevant davantage de la sphère privée que sacrée ou encore homérique est indubitablement ce qui a induit la bourgeoisie du 19° à s’enticher de ces figurines.
L’hédonisme des Tanagras est plus probablement une ode à la vie, à la jeunesse éphémère, une manière de conjurer les vicissitudes du quotidien et bien entendu la finitude de l’existence des mortels.
Les figures les plus courantes de Tanagras:
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La Dame au calathos représentant une femme coiffée d’un chapeau en forme de panier, cette figurine est typique de la mode de l’époque.
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Les Tanagras des théâtres représentant des acteurs et des scènes théâtrales, soulignant l’importance du théâtre.
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Les Tanagras funéraires qui étaient souvent placées dans les tombes pour accompagner les défunts dans l’au-delà.
Diffusion des Tanagras
C’est l’usage, à partir du 4° siècle avant notre ère, du moule bivalve (emprunté aux bronziers) qui a contribué à la diffusion exponentielle des statuettes en terre cuite.
Cette innovation accompagnée de l’usage de pièces modulaires (têtes, bras, accessoires) permis à la fois de produire plus et plus rapidement mais aussi d’élargir le champ des représentations.
En outre, cette approche a permis aux artistes et artisans de parvenir à un plus grand niveau de détail du travail en ronde-bosse.
Les artisans ne se contentèrent donc plus de représenter les héros et les dieux mais abordèrent également le rappel de la vie profane.
Par ailleurs, les figurines de Tanagra apparaissent dans un contexte de prospérité et de développement culturel au cours de la période hellénistique. Après les conquêtes d’Alexandre le Grand (356/323 avant notre ère.), l’art grec s’est diffusé et enrichi au contact de diverses cultures.
Elles se sont rapidement répandues dans tout le monde grec, y compris en Asie Mineure, en Italie et en Égypte, démontrant leur popularité et leur valeur artistique. Leur exportation a été facilitée par les échanges commerciaux et les relations culturelles de l’époque.
Elégances, sensualité et gracilité
Les figurines de Tanagra sont renommées pour leur réalisme et la finesse de leurs détails. Les drapés des vêtements, les coiffures élaborées et les expressions faciales sont rendus avec une précision remarquable.
Ces figurines sont marquées par une sensualité subtile, exprimée à travers des postures gracieuses et des vêtements ajustés. La représentation des corps féminins met en avant la beauté et l’élégance, caractéristiques de l’idéal esthétique héllénistique. L’âge archaïque et martial est déjà bien loin. Des valeurs plus privées prennent le pas sur la polis des aristoï.
La majorité des figurines de Tanagra représentent des femmes, soulignant l’importance de la figure féminine et de la vie domestique dans l’art et la société de l’époque héllénistique. Elles offrent un aperçu des rôles sociaux et des standards de beauté, reflétant à la fois la vie quotidienne et les idéaux esthétiques moins hieratiques qu’à l’age classique.
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Auteur : Thierry Grizard