Richard Taurigny, un nouveau Benvenuto Cellini

Richard Taurigny, « Comme un nouveau Cellini »
A propos d’un sculpteur rouennais entre la Vénétie et la Lombardie
« Il est curieux que l’Italie, même à la renaissance, empruntait à la France […] ses sculpteurs en bois. C’était à notre ville de Rouen que l’Italie, patrie de tant de grands artistes, était allée emprunter un humble bahutier, Richard Taurigny. L’histoire de Padoue représente Richard Taurigny comme un nouveau Cellini, à raison de son talent d’abord, puis de son humeur peu sociable […]. Ricciardo Taurini scultor di legname eccellente […]. L’opera del Taurino può essere considerata come uno dei casi più curiosi della maniera francese nel Veneto […] ».

Un bas-relief en bois sculpté, attribué à un artiste issu probablement de l’atelier de Richard Taurigny Riccius Taurinus selon une transcription latine, et exposé à la vente chez un antiquaire italien, a attiré notre attention sur ce sculpteur français dont les sources historiques ne parlent qu’occasionnellement. Ainsi, des textes italiens et français évoquent cet artiste compte tenu de ses créations, notamment entre le XVIII° et le XIX° siècle, tandis que le siècle après, il semble être tombé dans l’oubli. Ces textes, sur lesquels nous revenons, ne livrent pourtant que très peu d’informations concernant sa vie et son travail. Et on doit être attentif à ne pas confondre le nom du sculpteur du XVI° siècle, transcrit en italien comme « Ricc(i)ardo Taurini(o) », avec le nom similaire d’un peintre connu plus tard.
Magister lignaminis de Rouen en Italie
Richard Taurigny, né à Rouen en Normandie, fut noté dans des sources historiques, dès le Cinquecento, sous son nom italianisé Riccardo ou Rizzardo di Guglielmo Taurini (Taurino, Taurin ou Taurigny). Présenté souvent comme un célèbre sculpteur-statuaire et sculpteur-graveur, nous ne disposons que de quelques indications rudimentaires concernant son origine. On ne sait pas vraiment quand et pour quelles raisons précises il fut venu en Italie. Une notice du xix° siècle indique qu’« un de nos sculpteurs Richard de Taurigny, fut appelé en Italie pour y exécuter des travaux sur bois, vers 1520 ». On lit aussi que les Italiens devaient s’adresser à Taurin pour la confection des stalles de Sainte-Justine de Padoue et de la cathédrale de Milan (ce qui aurait eu lieu après 1510). Mais ces informations n’étant pas confirmées par d’autres témoignages historiques, rien ne prouve leur authenticité, tandis que l’on trouve d’autres références à propos de son activité vers le milieu du xvi° siècle.
Le Normand, s’étant installé dans le nord de la péninsule, fonda avec ses trois fils nés à Milan entre 1568 et 1580 Giacomo, Giovanni et Gian Paolo , un atelier de sculpteurs sur bois actif notamment entre la Vénétie, le Piémont et la Lombardie, de la moitié du XVI° siècle jusqu’à la première moitié du siècle suivant. L’une des plus anciennes mentions, concernant le sculpteur français, provient de Giovanni Paolo Lomazzo. En le citant juste après « Rafaello Santio da Urbino », ce peintre et théoricien revient sur ses principaux travaux confectionnés alors pour les deux églises de Padoue et de Milan. Comme en témoigne l’extrait du texte : « parmi ceux qui ont sculpté en relief et surtout en bois, il me suffira d’en nommer un seul, mais le plus rare qu’il soit au monde aujourd’hui, appelé Richard Taurino de Rouen, en Normandie ». Et cette appréciation fut souvent répétée dans des sources anciennes que nous souhaitons étudier ici.

Or, d’après Leopoldo Cicognara, Richard Taurigny fut l’élève d’Albrecht Dürer. C’est ce dont parle notamment Serviliano Lattuada, en l’évoquant comme Ricciardo Taurini discepolo di Alberto Durer, et Antonio Neumayr en le plaçant parmi « les disciples de Dürer les plus distingués ». Il semble pourtant que certains historiens n’aient suivi qu’un propos du chanoine Carlo Torre, sans avoir vérifié la probabilité des faits. Et une telle assertion, portant sur les relations directes entre les deux artistes, est dénuée de preuves. Sans connaître les dates exactes concernant la vie de Taurigny, tant en France qu’en Italie, l’exécution de ses principaux œuvres renvoie toutefois à certains événements historiques, c’est ce qui nous permet de le situer dans le courant du XVI° siècle. Il est donc très peu probable qu’il ait connu Dürer lors de son arrivée à Venise, dans les années quatre-vingt-dix du XV° siècle et ensuite entre 1505 et 1507; de telles périodes étant trop précoces quant à l’activité de Taurigny. Cependant, nous pouvons émettre une hypothèse selon laquelle ce dernier puisait indirectement dans le style du maître allemand. Par ailleurs, Rouen était renommé par ses ateliers de « huchiers sculpteurs ou imagiers », et Richard Taurin y était mentionné parmi les artistes de la fin du XV° et du début du XVI° siècle habitant la rue de la Vanterie, « dont les façades en bois étaient toutes magnifiquement sculptées ».
Considéré comme l’un des sculpteurs sur bois talentueux, il est noté dans des textes anciens à propos d’une commande, signalant sa présence en Vénétie dès 1555 (ou bien 1556). Or, d’après un article relativement récent, un unique document indique le 10 mars 1556 comme la date à partir de laquelle l’artiste entreprit des travaux dans le réfectoire de l’église Saint-Sauveur de Venise, donc deux ans avant d’être venu à Padoue. Son travail influencé d’abord par l’école de Fontainebleau, s’inspira ensuite des créations de Jacopo Sansovino, de celles d’Alessandro Vittoria et du vocabulaire artistique du style maniériste italien. Ainsi, on parle « d’un des plus intéressants sculpteurs étrangers », introduisant la maniera francese dans des ateliers vénitiens.
Des chefs-d’œuvre à un panneau d’origine inconnue
Même si l’activité de Taurigny à Sainte-Justine de Padoue l’église abbatiale relève quelques contradictions, nous connaissons les dates précises enfermant les périodes au cours desquelles il y menait ses travaux. Entre les années 1558 et 1566, et entre 1564 et 1572, le sculpteur élabora un remarquable mobilier en bois de noyer placé dans le chœur, suivant un concept iconographique proposé par le moine et théologien bénédictin d’origine flamande, Eutychès Cordes. Ce travail remonte, comme le veulent certains, au règne d’Henri III, « puisque l’abbé Entichius d’Anvers, qui le dirigea, avait siégé au concile de Trente ». En tout état de cause, cette constatation nous amène à considérer comme très probable l’influence des décrets conciliaires sur le contenu des œuvres concernées.
Auteur : Anna M. Migdal