Marion Davout. La matérialité du temps
Marion Davout et les lambeaux du temps
Marion Davout figure le réel suggéré par la mémoire dans un langage expressionniste jouant avec les limites de l’abstraction. Le travail de Marion Davout trouve sa matrice dans l’idée de temporalité.

Comment représenter sur une toile, dans un cadre, au sein de l’espace pictural la durée ? C’est une problématique récurrente en peinture, mais aussi en photographie. Comment résoudre l’instantanéité de l’image arrêtée ou représentée ? Évidemment, la peinture a un immense avantage sur la photographie en la matière. En effet, la représentation picturale depuis toujours s’est prêtée au jeu de la narration juxtaposée, des temporalités simultanées. La peinture est un travail de synthèse, d’accrétion qui est toujours comme une collection de moments, de perceptions, de souvenirs.
Dans la peinture médiévale, par exemple, non seulement on représentait des temps différents en un seul récit pictural, (comme dans les estampes chinoises également), mais aussi des niveaux ontologiques différents. Dans l’œuvre de Marion Davout on retrouve la même volonté. Sa peinture assemble et confronte des temporalités qui sont réunies en un seul point, un seul instant, celui de leur collage dans l’espace de la toile.

C’est un travail très réfléchi, de collage mémoriel mais aussi une juxtaposition des niveaux ontologiques, des degrés d’existence, d’être-là. Les temps qui sont figurés sont bien évidement ceux de la mémoire, mais pas uniquement. Il y a une intention frappante de faire de l’espace de la toile elle-même une temporalité. En effet, quand on regarde attentivement une œuvre de Marion Davout il est impossible de s’arrêter à un regard global. Il faut parcourir la toile. Alors interviennent ces lambeaux d’espace qui sont autant de temporalités différentes, mais aussi de niveaux d’être-là, plus ou moins effacés, plus ou moins denses en matérialité.
En toute logique – mais c’est une logique qui n’est pas celle de la création – en toute logique donc il y a d’abord l’architecture, le bâti, l’artifice et donc les humains. Qui par ailleurs sont obstinément absents de l’œuvre de Marion Davout. Puis vient le paysage, un paysage hors sol, déchiré, qui n’est en réalité que les morceaux picturaux de la mémoire.

Ce paysage appartient logiquement à l’après, ce qui vient reprendre possession de la Nature alors que les hommes ont abandonné ce qu’ils avaient construit. Mais évidemment les temps qui se succèdent, se superposent ne sont pas ceux-là. Ici tout n’est affaire que de mémoire. Les lambeaux d’architecture et de paysage sont ceux d’une mémoire qui travaille dans la durée d’exécution de l’œuvre. Or Marion Davout est une artiste qui mûrit longuement ses œuvres, qui ne les laissent sortir de l’atelier qu’après de longs moments de repos et de reprise. La durée de l’exécution vient donc déposer d’autres éléments temporels. En particulier, la multitude de petits détails qui parcourent la toile et qui demandent au regardeur de prendre également le temps, de convier à nouveau son attention ou son regard rêveur…
Auteur : Thierry Grizard