Irving Penn, photographe de nus hors normes
Irving Penn, photographe de studio
Irving Penn est connu avant tout pour son travail formaliste dans la mode, ses natures mortes, ses portraits de personnalités sur fond neutre ou son travail reprenant, formellement tout du moins, la tradition inaugurée par August Sander du documentaire typologique notamment des métiers. Pour Irving Penn cet aspect documentaire, développé dans la série Small Trades et Exotic Fashion Shoot, est davantage une recherche esthétique qu’un véritable effort de documentation. C’est ainsi que les tenues des modèles relèvent davantage du stéréotype occidental que de l’enquête sérieuse et objective.
Photos Irving Penn
Quant au procédé photographique il est presque immuable chez Irving Penn. Il travaille principalement à la chambre grand format, en éclairage naturel — du nord si possible — devant un fond uniforme et parfois, notamment dans certains de ses portraits, dans une encoignure où le sujet est comme acculé. Toute l’attention du photographe se concentre sur le sujet. Irving Penn n’a jamais photographié qu’en studio même lorsque, à l’occasion de ses nombreux voyages, il saisit l’occasion de faire des prises de vue des autochtones, en particulier en Nouvelle-Guinée, au Népal, au Japon, au Bénin.
Photos Irving Penn
L’abstraction et le détail
Irving Penn se situe à la jonction de la Straight Photography (voir nos articles) pour la précision de la prise de vue, les nuances de gris, la perfection technique et le désir de documenter son temps mais en employant un procédé qu’utiliserons les hyperréalistes dans les années 1970, c’est à dire isoler, extraire dans une manière distante qui renouvelle le regard et bouscule les conventions de représentation et les « habitus » du regard.
Une manière de concentration sur le sujet décontextualisé et les seules tessitures, aussi bien des vêtements, que des épidermes ou traits du visage.
Les détails deviennent si précis qu’ils en viennent à concurrencer le sujet, le modèle, c’est particulièrement vrai des photographies de mode d’Irving Penn.
Corner serie (Truman Capote/Duchesse de Windsor. New York, 1948)
En 1948 Irving Penn commence à réaliser des portraits en plaçant le sujet dans une encoignure constituée de deux panneaux grossièrement montés suivant un angle assez étroit. Le photographe ne cherche pas à dissimuler le dispositif, tout au contraire Il montre ostensiblement la mise en scène. On remarque rapidement la tranche mal dégrossie des pans de murs, les câbles qui trainent au sol, parfois un tapis laminé git dans ses replis aux pieds des modèles, une multitude de taches clairsement le plancher. Les sujets sont dans leurs vêtements de ville.
Dans les années 1970, alors que l’hyperréalisme (voir nos articles) prend son essor, Irving Penn réalise les séries Cigarettes, Street Material et Archéologie, qui par leur réalisme extrême jusqu’à l’annihilement dans le détail partagent de nombreuses similitudes avec les peintres hyperréalistes, le Pop-Art dont Rauschenberg (voir notre article), mais aussi les matiéristes tout particulièrement Alberto Burri.
l faut se rappeler qu’Irving avant d’être photographe a été peintre, déçu par sa production il arrêta rapidement. Il demeure chez le photographe américain une vision fréquemment très picturale de la photographie, qu’il s’agisse des matières, de l’isolement de la figure, de la qualité de la lumière naturelle et du modelé si spécifique qu’elle apporte…
Auteur : Thierry Grizard