François Malingrëy, un nouveau réalisme ?
Francois Malingrëy, Néo-réalisme et néo-métaphysique !
Figures et tensions
François Malingrëy (né en 1989 à Nancy) a été révélé au public à l’occasion du Salon de Montrouge en 2015 puis, la même année, au Palais de Tokyo.
Dans la lignée de Lucian Freud, dont il se réclame ouvertement, François Malingrëy reprend du point de vue formel une mise en peinture « réaliste » de la figure humaine, notamment en convoquant plus ou moins explicitement Gustave Courbet. Mais si ses personnages évoquent par la pose ceux de Courbet (« Un enterrement à Ornans », « Bonjour Monsieur Courbet »), la mise en situation est toujours abstraite, théâtrale. Quant à la composition souvent déstructurée, elle s’apparente au chaos des expressionnistes allemands, notamment aux travaux de la Nouvelle École de Leipzig, tels ceux de Neo Rauch que le jeune artiste peintre français cite volontiers.
On voit bien qu’elles sont les tensions de cette peinture qui accolent de force aussi bien des figures réalistes, des décors mentaux que des compositions suggérant la plupart du temps le déséquilibre. Ce n’est donc ni un néo-réalisme (il n’y a aucun désir descriptif), ni pour autant du « néo-métaphysique », car le monde mental de François Malingrëy est exclusivement celui des tensions picturales entre les figures, on n’y décèle aucune volonté de manifester en « image » un concept, un en-soi quelconque.
Comme dans une grande partie de la peinture figurative contemporaine, l’obsession personnelle est la trame constituant le motif, mais puisque toute subjectivité est la progéniture de son époque, François Malingrëy à travers sa fascination pour la figure humaine manifeste des problématiques récurrentes du post-modernisme : l’identité, l’unicité, l’individualité et les hybridations multiples de ces concepts à travers les notions de « dividu », de réseaux, etc. Ainsi les créations de Michaël Borremans, des Écoles de Leipzig, de Jean-François Boyer, Giulia Andreani, Claire Tabouret, Marlene Dumas ou Jenny Saville, sont autant d’expressions de ces apories, fécondes, de la Figure.
Théâtre et figures
Rien de contemporain dans les sujets abordés par François Malingrëy, l’on est plutôt dans le registre de la peinture dite “métaphysique”, c’est à dire hors contexte, ou plus précisément décontextualisée. Pas de réels détails vestimentaires, d’accessoires ou de décors permettant de donner un indice historique, voire même, tout au contraire, des anachronismes prélevés dans les schémas iconographiques traditionnels de l’histoire de la peinture, tels que des Agnus dei, Déplorations, Mises au Tombeau, Baptêmes, etc.
En outre, François Malingrëy s’ingénie, comme dans la peinture « classique », à dupliquer les mêmes modèles pour incarner différents personnages, toujours fermés, sans caractère propre. Le modèle n’est pas représenté pour lui-même, il sert de référence anatomique et d’expressions pour la mise en figure d’un personnage pictural qui n’existe que pour ses masses, sa tonalité et sa forme. Il y a pour François Malingrëy, comme chez Jenny Saville ou Lucian Freud, une dimension sculpturale, voire monumentale de la représentation anatomique.
L’or et le noir
François Malingrëy utilise une gamme de couleurs sourdes assez limitée, où cependant deux pôles surgissent fréquemment, le noir et l’or, voire le jaune éclatant et métallique.
Les noirs du peintre sont assez souvent sans modulation, ils agissent comme des réserves qui percent la toile et créent d’étranges apertures vers une forme picturale du néant. Quand ils se superposent les formes de noir en noir sont presque complètement absorbées. L’eau, elle-même est noire dans les toiles de l’artiste.
Il a exécuté de nombreuses « baignades » — se référant aussi bien au thème de Narcisse, du baptême que du bain lustral — où l’eau est obscure, les maillots de bain noirs, les rochers d’un gris sombre cartonneux, le moment crépusculaire. Le peintre va jusqu’à décapiter certains personnages ou il brouille leurs visages. Ces figures découpées par le noir et maltraitées semblent indiquer un conflit quant à l’intérêt de représenter encore des figures « analogiques » respectant, tout de même, la règle de l’imitation sinon de la vraisemblance.
Enfin, les corps sont dépeints avec justesse anatomique, mais dans des formes raides et épurées. Une sorte d’obscurité picturale semble vouloir envahir la toile peuplée de figures nombreuses, répétées mais isolées, à l’anatomie lapidaire.
Auteur : Thierry Grizard