Elina Brotherus Carpe Fucking Diem

Elina Brotherus Au Centre de la photographie contemporaine Bruxelles
Elina Brotherus est une photographe plasticienne née en 1972 à Helsinki. Elle partage son temps entre son pays natal et la France où elle bénéficie d’une certaine reconnaissance. Elle a été lauréate 2017 de la « Carte blanche PMU » et du prix Niépce en 2005.
A partir du 15 novembre 2017 jusqu’au 14 janvier 2018 Elina Brotherus expose au Centre Contretype, Bruxelles la série « Carpe Fucking Diem ».
Dans le même temps, elle participe à l’exposition collective « Paysages Français Une Aventure Photographique, 1984-2017 » à la BNF François Mitterrand du 24 octobre 2017 au 4 février 2018.
© Elina Brotherus.
Partition et action
Elina Brotherus pratique la photographie comme une mise en image d’idées. Des idées qui ne sont que rarement des trouvailles visuelles, des effets de composition ou de cadrage. Il s’agit plutôt de mises en page de concepts sous forme de séries qu’elle fait varier parfois durant des années. Rien de réellement original dans cette méthodologie qui trouvent ses racines dans l’art conceptuel et minimaliste entre autres courants de l’art moderne. Elina Brotherus revendique d’ailleurs ouvertement sa filiation à un mouvement particulièrement important de ce point de vue, à savoir Fluxus.
© Elina Brotherus.
Pour faire court, Fluxus voulait rendre poreuses les frontières entre l’art et la société, le politique, pour élargir encore davantage, la vie. Cela aboutit à des performances des « happening » dont il ne reste que quelques photographies, ou plus significatif, dans la démarche de la plasticienne finlandaise, des partitions qui étaient comme la trame selon laquelle il fallait interpréter l’action.
De cette source d’inspiration Elina Brotherus a décliné tout un ensemble de séries photographiques où elle joue, soit sa propre partition en la déclinant, soit en s’inspirant directement de certaines notations du mouvement Flux, notamment celles auxquelles René Block lui a accordé accès.
L’autre influence assumée, qui a donné lieu à quelques épreuves, se réfère à Francesca Woodman (1958/1981), également très proche, intellectuellement, du mouvement Fluxus.
© Elina Brotherus.
Le théâtre des idées
Là où se démarque cependant la photographe finlandaise est que, précisément, ses actions n’en sont pas, elle n’est quasiment jamais en mouvement et n’agit qu’autant qu’elle pose. Elle interprète la notation le temps strictement nécessaire au déclencheur, elle n’agit pas, elle n’interprète pas comme un danseur la partition, elle la figure.
Ce point est déterminant et différencie Elina Brotherus des innombrables démarches du même ordre. Dans ce théâtre d’idées, plus ou moins développées conceptuellement, la finlandaise apparait figée, arrêtée, inexpressive. De même l’environnement qui sert à la démonstration fait penser la plupart du temps à un théâtre de la peinture de la Renaissance. On sait maintenant, après les études de Pierre Francastel et bien d’autres, que les peintres de cette période ne reproduisaient pas, selon les règles de la perspective monoculaire, la Nature, la ville ou des lieux quelconques. L’imitation de la nature, celle du corps humain sublimé et ou du motif, n’est au final qu’une mise en scène d’idées allégoriques, tout du moins une métaphore filée.
© Elina Brotherus.
Or chez Brotherus on observe le même procédé, tout est d’ordre symbolique, métaphorique ou allégorique. Cela va du paysage non pas perceptible mais pictural, de la fécondité comme Annonciation, en passant par les règles du jeu comme système et non le jeu en tant que tel, le modèle et sa figuration… C’est un univers visuel qui parait souvent vide, pour la raison simple qu’il illustre plus qu’il ne rend visible. Le référent de la photographie est donc complètement contingent. L’objet des récits d’Elina Brotherus est, à travers quelques accroches autobiographiques, celui de l’image. C’est une épistémologie souvent absurde de l’histoire de l’art et de la représentation en général.
© Elina Brotherus.
L’abri et le vide
Les lieux dépeints par l’artiste paraissent inhabités si ce n’est par le personnage central qui est l’artiste elle-même, mais dans l’attitude d’une « korê ». Elle n’est pas dans le lieu, à aucun moment elle donne le sentiment de l’habiter, elle prend la pose devant un décor qui sert uniquement de fond. Le modèle est tel un totem, il indique et pointe vers un hors champ qui n’est pas de l’ordre du sensible.
Auteur : Thierry Grizard