David Lefebvre le néo réalisme 2.0
David Lefebvre décomposition et fracturation
La figuration en délitement
David Lefebvre, ( né en 1980), est un jeune artiste peintre grenoblois qui élabore d’étranges scènes dont presque exclusivement des paysages alpestres soumis à un étiolement de réalité insidieux se propageant inéluctablement.

La facture de David Lefebvre s’inspire, voire mime ironiquement, des « styles » picturaux qui rappellent la peinture réaliste, en particulier Gustave Courbet, mais aussi l’architectonique de Cézanne. Quant aux motifs ils semblent citer, et la peinture romantique, tout particulièrement Caspar David Friedrich, et à nouveau Gustave Courbet voire certains représentants de l’Ecole de Barbizon.
Compositions et décompositions
Les toiles du peintre français sont très composites, dans la mesure où, par-delà l’apparente peinture de paysage, il s’agit avant tout d’une peinture syncrétique de citations et de mise à l’épreuve de ce que peut figurer la peinture contemporaine. La « belle » unité est donc systématiquement brisée par des ruptures « stylistiques » faisant coexister l’abstraction (l’Orphisme, le Rayonnisme) et la figuration imitative (le Réalisme) ou analytique (Cézanne, le cubisme). L’expérience du tableau mener par David Lefebvre ne se limite cependant pas à la seule combinatoire des discours picturaux du passé. En effet, le tableau est avant tout considéré en tant que représentation, en tant qu’il est une image (une transcription) du monde physique et de sa perception. Dès lors la démarche du peintre s’assimile aux approches menées, parmi d’autres courants, par l’Ecole de Düsseldorf autour de la photographie et de la reproductibilité. Le sujet est donc à la fois le paysage comme pratique picturale, mais aussi et surtout la mise en image du « monde ». A l’instar d’un Thomas Ruff David Lefebvre exhibe la structure même de l’image contemporaine du monde, c’est-à-dire du réel à l’âge numérique. Le pixel et le réel algorithmique font irruption dans la matière et la surface picturale. Cependant le propos ne se cantonne pas à ce seul aspect, hormis les plans de réalité tels que la fenêtre picturale les reproduit, la lumière elle-même et sa figuration sont centrales dans la parcours de David Lefebvre.
Un nouvel orphisme
« Peindre» la lumière consiste à la décomposer en juxtaposant simultanément les couleurs, jusqu’à suggérer dans une certaine mesure les longueurs d’onde. En somme, un orphisme renouvelé à l’âge numérique. Mais précisément la lumière qui donne à voir le réel n’est pas ici celle de la Nature ou tout du moins de sa perception simultanée/composite comme le comprenait Robert Delaunay. Il s’agit exclusivement d’images (numériques) du réel, ou plus précisément d’images-de-paysages, en l’occurrence en perdition, d’où les intrigantes contaminations de taches obscures, faisant penser à des trous noirs. Ces « champs gravitationnels » sont tels des réserves de pénombre qui absorbent la lumière et déstructurent les éléments constitutifs de la représentation. Une figuration de paysage à tonalité romantique ou pré-impressionniste qui installe avec ironie le paradoxe de faire du paysage pour mieux saisir la googlelisation universelle. Nous sommes dans l’écart critique du Pop Art. En faisant glisser les signes d’un registre à l’autre on perturbe la grammaire générale du « discours » pictural et plus largement de la représentation.
Par ailleurs, la brillance générale des images, toujours un peu laiteuses, surexposées en terme photographique, confirment l’idée que nous sommes devant des « captures » d’écrans étendus (notre regard « cultivé »), des reproductions, sans lieu ni identité, démultipliées du réel tel qu’il défile sur la trame numérique. L’image peinte évoque donc l’incandescence électrique des interfaces informatiques, ces nouvelles fenêtres.
©David Lefebvre. Courtesy galerie Zürcher
Peinture, virtualité et ironie
En contre-point de ces remplissages ou irruptions incongrues il y a une volonté évidente d’exhiber le processus de “fabrication” des images, en circonstance des images peintes. Mais le jeune artiste français procède comme si il s’agissait d’image synthétiques. Il ne décompose donc pas le pictural en tant que tel mais l’image numérique du réel et de manière totalement paradoxale à travers un genre éminemment pictural, le paysage. Il utilise un médium ancestral, presque artisanal, à l’exécution lente, pour se confronter à des questions gravitant autour de la virtualité, l’itération et l’homonymie proliférante.
Auteur : Thierry Grizard