Claire Tabouret et la Femme qui pleure
Métaphores de la dualité
La lutte et le duel
Une nouvelle exposition de Claire Tabouret se tient à la galerie Almine Rech dans un registre très différent de ce que l’on connait de la jeune artiste peintre française. Jusqu’à présent sa renommée renvoyait a des portraits de groupe représentant la plupart du temps des enfants à l’attitude renfrognée et hiératique. C’était notamment le cas de l’exposition donnée à la Fondation Lambert durant l’été 2018 (voir notre article).
A Paris, le changement de motif est assez radical puisque Claire Tabouret délaisse le thème de l’enfance pour traiter celui de la « lutte » au sens littéral comme figuré. En effet, à travers la représentation de lutteurs pour l’essentiel adultes, l’artiste se livre à une métaphore filée sur la dualité.

Claire Tabouret et Picasso
Le dossier de presse donne quelques précisions sur le prétexte de cette exposition qui a lieu également au Château de Boisgeloup, résidence de Pablo Picasso dans les années 1930, où il réalisa des sculptures et gravures, demeure appartenant encore à la descendance du peintre espagnol. La figure de Picasso serait donc à l’origine du projet de cette double exposition à la galerie et au Château. En outre, on y apprend que Claire Tabouret aurait été très marquée — après les Nymphéas de Monet durant son petite enfance — par le portrait de Dora Maar Femme Qui Pleure que Picasso réalisa en 1937. Cette série des lutteurs intitulée « I am crying because you are not crying » (citation donc de l’œuvre de Picasso) serait par conséquent une réflexion picturale sur la relation amoureuse entendue comme tension depuis la passion érotique jusqu’au conflit de l’éloignement.
Mille-feuille et sous-textes
L’artiste française déploie dans cette série une riche iconographie et des « sous-textes » en mille-feuille assez nombreux. On part des lutteurs des vases antiques et des céramiques romaines pour aller jusqu’aux sports télévisés, dont on croit reconnaître certains clichés très répandus sur le web. Claire Tabouret ne se contente néanmoins pas de citations littérales, elle convoque aussi ce qui peut évoquer visuellement la gémellité (les figures de lutteurs sont du même sexe et du même âge) et son pendant – la dualité, mais aussi d’autres variantes conceptuelles de la « dialectique » amoureuse, à savoir la relation en miroir, la symétrie, la tension, la torsion, la fusion ou l’imbrication.
Elle recourt, pour se faire, à des procédés plutôt étonnants qui consistent à traiter la toile comme une grande feuille de papier que l’on replierait sur elle-même dans tantôt dans un axe, tantôt dans deux axes, à la façon des tests de personnalité d’Hermann Rorschach. Les lutteurs se dédoublent alors horizontalement et flottent cul par-dessus tête surplombant la « scène de lutte » comme des corps éthériques ou les fameux papillons émergeant des tâches de Rorschach. Ces plis et « replis » du plan pictural sont comme autant de miroirs picturaux aux couleurs électriques et métalliques évoquant inévitablement les sérigraphies warholiennes, et donc l’idée d’itération, une manière supplémentaire de décliner la notion de symétrie.

L’arrangements des plans
Cependant, au second regard, hormis les effets liés au thème, (peut-être un peu trop évidents), ce sont les traitements des plans, couches, sous-couches et surcouches qui frappent le plus fortement.
Auteur : Thierry Grizard