Andres Serrano photographe et moraliste
Andres Serrano le moraliste
La carrière de Andres Serrano s’est construite, dès ses débuts en 1987, sur le scandale, spécifiquement avec la représentation d’un Crucifix immergé dans l’urine. Or quand on prend le temps de considérer la cohérence de son travail on réalise que l’artiste américain est plus polémique , au sens étymologique, que provocateur et encore moins transgressif.
Il aborde avec constance, dans une manière esthétisante et théâtrale, des questions sociales et éthiques qui sont considérées par nombre comme tabous ce qui a pu conduire à penser qu’il n’était soucieux que de susciter l’indignation. Ce qui il y a probablement de plus dérangeant ici, c’est d’aborder des sujets difficiles, considérés comme vulgaires sous la forme de tableaux de maîtres. Andrés Serrano monumentalise par la picturalité et le format de ses photographies des sujets voués à la forclusion. Cette forme d’éloquence visuelle introduit l’écart, déporte ainsi le sujet dans un registre que la bienséance ou l’hypocrisie sociale lui refuse habituellement. Cette mise en déséquilibre de thèmes rejetés à l’index ou caricaturés n’est pas complètement originale dans les années 80. En effet, beaucoup d’autres photographes de la même génération se sont livrés à un travail de déconstruction de l’image. La particularité de Serrano est de se concentrer sur les mœurs, la sexualité et le religieux dans une esthétique très éloignée de l’Ecole de Dusseldorf notoirement dominante dans cette période.
Une autre particularité du photographe est qu’il n’intellectualise pas sa démarche, elle ressort plutôt d’un univers très personnel et subjectif nourri en particulier par l’art Baroque et Classique ainsi qu’une forte imprégnation « religieuse », portant encore certaines traces de la tradition amérindienne et l’omniprésence de la mort.
On peut considérer, parmi les photographes réputés de ces décennies, Martin Parr comme une sorte de sociologue, Andréas Gursky comme un éthologue, Hiroshi Sugimoto tel un entomologiste, Thomas Ruff comme un épistémologue, Serrano est quant à lui un genre de moraliste, mais un moraliste ambivalent, plus intuitif que rhétorique oscillant entre fascination morbide, la « religiosité » comme rituel, et le questionnement spirituel.
Transgression et ironie polémique
La facture de Serrano se caractérise par une esthétique post-moderne spécialement en raison de son syncrétisme où s’hybrident le Baroque (Caravage), le Classicisme (David), le Pop Art et l’héritage de Marcel Duchamp (tout peut-être une œuvre d’art). Elle situe avec brutalité le débat sur le plan des idées qui sous-tendent telle ou telle communauté de valeurs ou de mœurs. C’est la raison pour laquelle son travail relève davantage du constat critique et polémique (propre à provoquer le débat) que de la transgression. A l’image du Pop Art on est plus proche de l’ironie que de la rupture face à l’ordre et les règles normatives, avec évidemment le goût propre au post-modernisme pour l’esclandre.
Auteur : Thierry Grizard